Bréviaire de la dissuasion nucléaire française

« La dissuasion nucléaire est l’expression la plus aboutie de la singularité militaire. »

Général Lecointre

La dissuasion nucléaire s’inscrit dans la logique du temps long. Aujourd’hui, il est nécessaire de se projeter jusqu’en 2040 pour garantir la préservation de la crédibilité de la dissuasion.

Ceci requiert une stratégie de l’État sur l’ensemble du domaine :

  • Intérêts vitaux
  • Planification stratégique
  • Filière d’énergie nucléaire (EDF + propulsion navale)

Une construction sur un cycle long :

  • 8 octobre 1964, première alerte nucléaire sur Mirage IV
  • 1956, opération de Suez : Lettre du maréchal Nicolaï Boulganine à Guy Mollet (5 novembre) faisant état d’un possible réponse nucléaire
  • 1957, commande par la France des Mirage IV
  • 1964/1970, la France a consacré 1% de son PIB à la dissuasion nucléaire (aujourd’hui 0,17% => 0,25% en 2030)
  • 1972, entrée en service de la FOS
  • 1973, entrée en service du Plateau d’Albion

En 2017, la planification de la trajectoire budgétaire a été fixée jusqu’en 2040 et les ressources garanties jusqu’en 2030 : 12,5% des dépenses militaires pour l’agrégat nucléaire sur la base d’un budget de 50 Mds€ par an.

La crédibilité politique, opérationnelle et technologique de la dissuasion française s’articule autour de 5 concepts, qui forment notre grammaire nucléaire :

  • Permanence
  • Stricte suffisance 
  • Intérêts vitaux 
  • Dommages inacceptables
  • Indépendance nationale

Le système repose entièrement sur le Président de la République, en particulier concernant la définition des intérêts vitaux.

D’où l’importance de deux dimensions montrant la détermination de la France à poursuivre sa dissuasion nucléaire :

  • Le discours de chaque Président rappelant les principes de la dissuasion française
  • L’engagement pérenne concernant le niveau d’effort budgétaire

La dissuasion crée une relation très particulière entre le CEMA et le Président de la République.

Lien FAS/FOS : si l’une est supprimée, l’autre sera compromise à moyen terme (retex de l’expérience des Britanniques). De plus, il y a une grande complémentarité qui assure l’efficacité de la dissuasion :

  • La FOS permet une frappe massive (i.e. assurer la crédibilité de la réponse nucléaire).
  • Les FAS offrent une capacité de pénétration des défenses adverses dans la profondeur, apportant ainsi au Président la possibilité d’effets de démonstration (échelle de perroquet) par une gradation dans l’engagement de la réponse nucléaire (i.e. démontrer la force pour ne pas s’en servir).

La dissuasion tire vers le haut la défense française en raison du niveau d’exigence très élevé qu’elle impose (crédibilité, excellence technologique…). Comme le rappelle régulièrement Éric Trappier, Dassault Aviation ne serait pas aujourd’hui ce qu’elle est sans le Mirage IV.

Dommage inacceptables : ils doivent l’être pour l’adversaire tout en restant acceptables pour le Président de la République.

Le point d’équilibre est difficile à trouver, mais il est essentiel de le définir, car si le Président refuse d’engager la frappe nucléaire, la dissuasion s’effondre.

La notion de dommages inacceptables a évolué dans le temps :

  • Général de Gaulle : la Russie a supporté 25 millions de morts pendant la deuxième guerre mondiale, il faut donc placer la barre à 40 millions.
  • Chirac : recentrage sur les centres de décision.
  • Hollande : uniquement le ciblage des centres de décision.

Principes clés pour la France :

  • La nucléaire n’est pas une arme d’emploi.
  • La crédibilité de la dissuasion repose sur les principes de fiabilité, résilience, pénétration et portée.
  • Il n’y a pas de continuum entre moyens conventionnels et nucléaires.
  • La France a fait le choix de refuser la réponse graduée nucléaire, mais cela n’exclut pas la possibilité d’une frappe d’avertissement (unique et non renouvelable).

Enjeu du maintien des compétences industrielles (cf. M51) : nécessité d’un flux régulier d’activités de production et de conception pour maintenir les savoir-faire, d’où une production continue à faible volume.

Par exemple, le CEA estime qu’il doit développer une nouvelle tête nucléaire tous les dix ans.

Stricte suffisance :

  • Planification afin de garantir les effets par la définition des moyens et la connaissance des moyens de l’adversaire demain pour garantir la performance des capacités de la France (exemple : pénétration des défenses adverses).
  • Maîtrise des armements pour éviter de rentrer dans une course aux armements si les autres puissances nucléaires accroissent leurs stocks.

La cible de 300 têtes permet de traiter plus d’un adversaire. Cette cible répond à une logique opérationnelle pour garantir la crédibilité de la dissuasion face à l’attrition envisageable (frappe massive pour garantir la pénétration).

  • Juste équilibre d’épaisseur stratégique pour éviter que les moyens conventionnels ne soient épuisés trop rapidement, obligeant le Président à recourir à la réponse nucléaire.

D’où l’importance de consacrer 87,5% des dépenses aux moyens conventionnels.

Les exercices nucléaires réguliers de la FOS et des FAS sont essentiels pour maintenir les forces prêtes et pour montrer à nos adversaires (et nos alliés) la crédibilité de la dissuasion nucléaire :

  • Opération Poker, plus de 40 avions (= 2 x Hamilton), 4 fois par an.
  • Opération Minotaure, plus de 10 heures de vol vers Djibouti : 5000 miles nautiques, 10 MRTT (= 7 ravitaillements en vol).