Depuis le 09 Avril 1949, les Etats-Unis d’Amérique et les Etats de l’Europe de l’Ouest fondent leur sécurité collective sur le Traité de Washington – ou Traité de l’Atlantique Nord. La défense collective est au cœur de ce Traité, et ce principe est consacré dans l’article 5, par lequel les pays membres manifestent leur intention de se protéger mutuellement, sans que cela ne constitue une obligation de moyens. Les armes nucléaires américaines sont une composante essentielle des capacités globales de dissuasion et de défense de l’OTAN, aux côtés des forces conventionnelles et des forces de défense antimissile.
Malgré une formulation « non orientée » de ses objectifs, cette Alliance avait à l’origine un but quasi-unique qui était de prévenir et de protéger l’Europe de l’Ouest contre une attaque du « Pacte de Varsovie » emmené par l’URSS, dans un contexte de forte tension de la Guerre froide entre les Etats-Unis et cette dernière. Après la dislocation du Pacte de Varsovie et la disparition de l’URSS, en Décembre 1991, l’Alliance et son organisation, l’OTAN, n’ont pas été abrogées, mais leur continuation a cependant été accompagnée d’un profond questionnement, en particulier sur le maintien de leur caractère nucléaire.
Pour les Alliés de l’OTAN, les capacités économiques respectives et les risques stratégiques qui prévalaient en 1950 n’ont que peu en commun avec celles et ceux de la décade 2020 et l’alignement quasi parfait de leurs politiques d’alors, du fait de l’existence de l’ennemi commun qu’était l’URSS, n’existe objectivement plus aujourd’hui. Les Etats-Unis ont effectué un virage stratégique de la zone Europe-Atlantique vers la zone Asie-Pacifique, si bien que l’Europe, du fait de la proximité géographique de Moscou, se doit d’avoir désormais une politique régionale plus autonome, tant pour sa Défense que pour ses échanges économiques.
Dit autrement, et sans « brûler ce qu’elle a adoré », l’Europe se doit désormais de prendre en main sa politique de sécurité en préservant le lien transatlantique qui l’assure depuis plus de 60 ans. Elle doit se préparer à faire face, éventuellement seule, à des agressions, y compris celles qui menaceraient sa survie, pour le cas où les Etats-Unis, avec ou sans l’OTAN, seraient « empêchés » d’intervenir quelle qu’en soit la raison. Cette capacité à assurer sa sécurité implique bien entendu qu’elle dispose d’une capacité de Dissuasion suffisante, nécessairement nucléaire, du fait des risques existants qu’elle doit prévenir.
Détenir une Dissuasion Nucléaire crédible représente un effort financier, scientifique et technologique très important et de longue haleine, si bien que pour l’Europe, la démarche optimale ne serait pas de bâtir une telle capacité ex-nihilo, mais au contraire de considérer à une échelle européenne les capacités existant dans les Etats qui la composent. Pour le Nucléaire, ceci signifie qu’une future capacité de Dissuasion européenne pourrait s’appuyer largement sur celle existante et crédible de la France.
L’état actuel de la construction européenne laisse peu d’espoir de voir traiter rapidement cette question dans le cadre de l’Union Européenne : le réalisme impose de placer un objectif de partage d’une Dissuasion hors du cadre juridique de l’UE, notamment en dehors de la méthode communautaire, c’est pourquoi le projet proposé adresse une Dissuasion partagée par un Consortium d’Etats européens incluant a minima la France et l’Allemagne, mais qui pourrait à terme être étendu au Royaume-Uni, puisque le mode juridique qui encadrerait de création de ce Consortium laisserait toute possibilité au Royaume-Uni de le rejoindre. Le Brexit n’a eu en effet aucune incidence sur le fait qu’on ne saurait imaginer de situations où les intérêts vitaux britanniques et français ne seraient pas simultanément menacés et n’a, de surcroit, absolument pas remis en cause l’accord franco-britannique sur le « Nucléaire de Défense » de Lancaster House.
L’histoire de la construction européenne nous enseigne que les projets fortement novateurs naissent presqu’exclusivement sous la contrainte et que leur réussite est grandement facilitée quand la France et l’Allemagne décident solidairement de s’en saisir. La contrainte pour avancer sur ce projet de Dissuasion européenne existe. Non pas principalement celle liée à la crise Russo-Ukrainienne actuelle, mais surtout celle véritablement structurelle, liée à la diminution de l’engagement des Etats-Unis en Europe. Pour que par ailleurs la France et l’Allemagne se saisissent ensemble de ce projet, du fait des difficultés à surmonter de part et d’autre qui seront nombreuses, l’établissement d’un agenda prenant en compte toutes les dimensions de ce projet est la meilleure manière de progresser. L’objet de nos réflexions est de contribuer à un tel agenda.
La situation actuelle
Trois éléments majeurs caractérisent la situation actuelle des Etats de l’Union Européenne en matière de sécurité en général et de Dissuasion nucléaire en particulier :
- Leur sécurité est depuis 60 ans assurée par l’OTAN. En particulier, et à l’exception de la France, leur sécurité ultime, c’est-à-dire la sauvegarde de leurs intérêts vitaux, est apportée par la Dissuasion Nucléaire procurée par l’OTAN. Cette dernière repose essentiellement sur la capacité de frappe en second que possède la composante nucléaire sous-marine américaine. Même si des armes nucléaires non-stratégiques américaines sont déployées en Europe et que certaines armées européennes pourraient participer à leur mise en œuvre, ces armes restent sous le contrôle exclusif américain.
A l’exception de la France encore, l’ensemble des Alliés participe au NPG, (Nuclear Planning Group, Groupe des plans nucléaires) dont la fonction, non opérationnelle, est d’examiner et de définir la politique nucléaire de l’Alliance : questions politiques spécifiques associées aux forces nucléaires, maîtrise des armements nucléaires ou prolifération nucléaire. Cet organe, fondé en décembre 1966, n’est in fine qu’un processus consultatif sur la doctrine nucléaire au sein de l’OTAN. - La France possède une Dissuasion totalement autonome lui permettant d’assurer la garantie de ses intérêts vitaux indépendamment de l’OTAN. Le système de Dissuasion français repose sur le tryptique : La Doctrine, le Président de la République, qui en est l’unique décideur, et les moyens dimensionnés au juste besoin. Ce dimensionnement, en cas de crise, permettrait de dissuader simultanément une puissance majeure et une puissance régionale. L’OTAN reconnait que les moyens nucléaires français, indépendants, contribuent à la sécurité globale de l’Alliance et que cette indépendance compliquerait les stratégies des adversaires en cas de conflit.Synthétiquement, à l’exception de la France, les pays européens n’ont pas les moyens d’assurer seuls leur sécurité et celle-ci dépend entièrement des décisions qui devraient être prises par Washington en cas de menace majeure.
- Un régime de non-prolifération international auquel la France et l’Allemagne souscrivent totalement, et qui a tendance à figer les situations.
- Le premier instrument de ce régime est le Traité de non-prolifération, le TNP, auquel tous les Etats européens, dont la France et l’Allemagne, ont adhéré. Il définit deux catégories d’Etats parties : (1) les Etats non dotés (d’armes nucléaires), dont l’Allemagne et les autres Etats de l’Union Européenne, qui se sont engagés à ne pas conduire de programmes d’armement nucléaire et bénéficient en retour des connaissances et de la technologie nucléaires civiles fournies par la communauté des états parties au TNP et (2) les Etats dotés, dont la France, qui se sont engagés à aller vers un désarmement général quand les circonstances le permettront.
- Le second instrument est le Traité d’Interdiction Complète des Essais (nucléaires), le TICE, (en anglais, Comprehensive Test Ban Treaty, CTBT), amenant les Etats parties – dont l’ensemble des Etats de l’Union Européenne – qui ont ratifié ce Traité, à s’engager à ne plus réaliser d’essais nucléaires1 et à démanteler leurs moyens d’essais nucléaires.
- En complément, et dans le cadre de ce régime, plusieurs Etats dotés, dont la France, se sont engagés à ne plus produire de nouvelles quantités de matières nucléaires constitutives des armes et à démanteler leurs installations de production : la France l’a réalisé et cela a été vérifié par les instances internationales ad hoc. La France poursuit donc sa politique de Dissuasion en utilisant exclusivement des matières qu’elle détenait au moment où elle a pris cet engagement, si nécessaire, par recyclage de ces matières.
Un agenda pour construire une capacité autonome permettant de pallier un empêchement de l’OTAN
Réussir la construction d’une Dissuasion commune à la France et à l’Allemagne est sans aucun doute la condition sine qua non pour avancer vers la construction d’une Dissuasion commune à un Consortium d’Etats européens. Outre le rôle primordial de ces deux Etats dans la construction européenne, un tel projet bilatéral illustrerait en effet parfaitement les questions auxquelles il faut répondre et les obstacles qu’il faut surmonter.
Sa réalisation nécessiterait avant tout, pour des raisons évidentes, une très forte volonté politique de la part des gouvernements qui décideront de lancer ce projet. La première de ces raisons est liée aux fortes oppositions que son annonce ferait immédiatement surgir : oppositions internes à chacun des Etats tout autant qu’oppositions externes d’origine multiple, de la part des Alliés, des Etats adversaires et des pays non alignés qui y verraient sûrement une remise en cause de la situation actuelle résultant du régime de non-prolifération.
La seconde question a trait à la démarche nécessairement longue qu’il conviendrait d’entreprendre pour parvenir à cette construction. Elle nécessiterait de nombreuses négociations, certaines pour définir la gouvernance du nouveau système de Dissuasion, d’autres pour le positionner dans le régime de non-prolifération international, d’autres encore pour le positionner vis-à-vis de l’OTAN et d’autres, enfin, pour définir les moyens qu’il faudrait attribuer à ce nouveau système.
1. Obligations en matière de régime de non-prolifération et de respect des Traités.
Les Traités qui régissent le régime international de non-prolifération prévoient que les parties aux Traités sont nécessairement des Etats souverains : au sens de ces Traités, seuls des Etats peuvent être éventuellement détenteurs d’armes nucléaires et de matières constitutives de ces dernières, ce qui, en l’état, n’est pas compatible avec une situation où le détenteur serait un Consortium d’Etats européens, incluant la France et l’Allemagne. Trois solutions sont envisageables pour surmonter cet obstacle : la première serait de faire évoluer le texte des Traités, la seconde de faire évoluer le « statut politique » du Consortium, pour qu’il puisse être partie aux Traités et la troisième, enfin, de considérer qu’au sein de ce nouveau système de Dissuasion, la France resterait l’Etat porteur de la Dissuasion, l’Allemagne ou les autres Etats du consortium restant des Etats non dotés au sens du TNP.
- Le contexte international actuel est très peu propice à ce que l’ensemble des Etats parties prenantes aux Traités acceptent une évolution. Les pays non alignés souhaitent abroger l’actuel régime du TNP, parce qu’ils le jugent inique, du fait du privilège exorbitant qu’il accorde aux Etats dotés, tandis que la Russie – et probablement la Chine – n’a aucun intérêt à ce que l’on renforce les capacités militaires de l’Europe, en créant un pilier nucléaire européen de l’OTAN. Etendre à un Consortium d’Etats ce statut d’Etat doté devrait donc être payé, diplomatiquement, un prix important.
- Faire évoluer le statut politique et juridique d’un Consortium d’Etats européens pour qu’il puisse devenir partie aux Traités est évidemment faisable et cette démarche représenterait un pas supplémentaire important dans l’intégration européenne. Elle nécessiterait qu’un important travail collectif soit réalisé afin de renforcer une vision long terme partagée pour la Construction Européenne et que les Etats constituant le Consortium aient acquis un très niveau de confiance mutuelle.
- La construction d’un système de Dissuasion commune conservant aux Etats autres que la France leur statut d’Etat non doté et pour la seule France le statut d’Etat doté porteur du nouveau système de Dissuasion serait sans aucun doute la solution la plus simple, puisqu’elle ne modifierait pas le statuquo ; elle ne permettrait cependant pas, en conséquence, de rendre symétrique le rôle des Etats partenaires de ce nouveau système de Dissuasion, et nécessiterait une adaptation de leur gouvernance « Défense ».
2. Organisation et gouvernance d’un nucléaire européen – points de vue stratégique et politique
Quelle que soit la solution retenue pour être compatible du régime de non-prolifération, il serait toutefois souhaitable que ce projet de Dissuasion s’inscrive comme une étape de la construction d’une Défense collective européenne. C’est pourquoi la gouvernance de cette Dissuasion européenne ne pourrait se borner à placer la France en tant que pilier nucléaire européen, à l’instar du rôle que jouent actuellement les Etats-Unis dans l’OTAN. En effet, il est tout à fait indispensable pour l’Europe de continuer à bénéficier de la protection nucléaire américaine et, par ailleurs, il est tout autant indispensable qu’existe une « certaine » égalité de traitement entre tous les Etats membres qui participeraient à ce projet, comme l’exige l’esprit Européen.
La définition de la gouvernance d’une future Dissuasion nucléaire européenne ne pouvant que satisfaire aux obligations du régime de non-prolifération international, dépendrait donc du statut des différents Etats qui y participeraient. Cette Gouvernance devrait par ailleurs, à l’instar de la Dissuasion française, nécessairement mettre en œuvre un mécanisme de décision opérationnel très efficace.
En se limitant à l’essentiel, cette gouvernance devrait assurer deux fonctions fondamentales : (1) la préparation de l’avenir (Programmation des équipements) et l’élaboration de la doctrine d’une part, et, d’autre part, (2) la mise en œuvre de la Dissuasion au quotidien et la gestion de crises en « circonstances exceptionnelles ». Soulignons à nouveau que l’adoption de cette gouvernance imposerait qu’auparavant la plupart des Etats aient modifié leur processus interne de décision d’emploi de leur Défense.
- Une entité s’apparentant à un conseil restreint de Défense Franco-Allemand réunissant les Etats membres du Consortium pourrait être chargée de l’élaboration et de la mise à jour de la doctrine d’emploi, de la préparation de l’avenir (principalement la programmation des équipements futurs) et de la gestion associée au fonctionnement du système de Dissuasion européen. En conséquence, cette entité aurait en particulier la charge de décider des études « Amont » indispensables au maintien de sa crédibilité, de la politique industrielle pour la réalisation et l’entretien des équipements et d’arrêter la liste des exercices destinés à s’assurer que le Système de Dissuasion serait bien opérationnel. Du fait du domaine qui lui serait imparti, cette entité aurait la responsabilité d’arrêter les budgets permettant la pérennisation et le fonctionnement du Système de Dissuasion commune. Comparée à la situation actuelle, où la France est la seule responsable des dépenses de sa Dissuasion, la création d’une Dissuasion commune européenne pourrait permettre un certain partage des coûts afin de disposer de ressources supplémentaires autorisant l’élargissement des moyens, si cela s’avérait indispensable pour asseoir la crédibilité. Cette participation au financement de tous les membres du Consortium serait également un marqueur politique fort de la solidarité et de la crédibilité de la Dissuasion européenne.Une telle instance serait indispensable, quel que soit le choix de l’entité porteuse des armes nucléaires (Consortium ou France). Elle pourrait reposer sur une composition paritaire entre les Etats participant au projet et être présidée alternativement par le Président de la République française et le Chancelier de la République Fédérale d’Allemagne, de préférence, même s’il pourrait être envisagé que tous les dirigeants des Etats du Consortium assurent à tour de rôle la présidence. Enfin, l’existence même et le mode de fonctionnement de cette entité seraient une réponse à la volonté d’inscrire la création de ce pilier nucléaire européen de l’OTAN comme un pas de la construction européenne.
- Suivant le choix « politique » qui serait fait de l’entité étatique porteuse des armes nucléaires, Consortium ou France, deux modèles de gouvernance de la gestion de crise en « circonstances exceptionnelles » et de mise en œuvre opérationnelle en découleraient :
- Si un Consortium était le porteur de la Dissuasion et le co-responsable vis-à-vis du régime de non-prolifération international, cela signifierait qu’existerait une très grande confiance mutuelle entre les Etats du Consortium, chacun d’entre eux considérant alors que sa propre sécurité ultime peut être garantie par le Consortium. Après un aménagement du modèle de gouvernance français (introduction d’une procédure de concertation préalable par exemple), le décideur ultime pourrait devenir alternativement le Président français et le Chancelier Allemand par extrapolation du « modèle français de gouvernance » éventuellement aménagé.
- Si la France restait seule porteuse de la Dissuasion collective, le Président Français resterait le décideur ultime unique, qu’il s’agisse de son emploi pour la protection du territoire français ou d’un Etat autre du Consortium, mais rien n’empêcherait de mettre en place un mécanisme de concertation entre les dirigeants des Etats participants, pour examiner ensemble et dans un très bref délai, la nécessité d’une éventuelle mise en œuvre « définitive » de la Dissuasion pour protéger un Etat du Consortium.
3. Evolution souhaitable des moyens de la Dissuasion française en tant que base d’une Dissuasion Européenne
La gouvernance qui pourrait être mise en place aurait pour première fonction de s’assurer qu’en permanence, la Dissuasion Européenne est crédible tout en étant dimensionnée suivant le principe de stricte suffisance. A partir du système français existant, plusieurs évolutions pourraient intervenir pour que la Dissuasion soit crédible à l’échelle du Consortium européen.
- La première a trait à la dimension elle-même de l’arsenal. Le concept qui sous-tend l’actuel dimensionnement français est la stricte suffisance pour être en mesure de faire face à deux menaces de conflits simultanées. La dimension de l’arsenal, en première approche, n’est pas liée à la taille du territoire à sanctuariser, en l’occurrence la France, mais aux conflits que l’on souhaite éviter : la Dissuasion française est dimensionnée pour être en mesure de faire subir des dégâts inacceptables à tout adversaire qui voudrait s’en prendre aux intérêts vitaux nationaux et donc de le dissuader de persévérer dans sa volonté belliqueuse.
La taille de l’arsenal d’une Dissuasion étendue à un Consortium d’Etats européens n’aurait donc aucune raison d’être proportionnelle à la somme des superficies, ou encore à la somme des populations, des Etats européens que l’on voudrait sanctuariser. Elle pourrait cependant être modulée, selon des réévaluations périodiques, à la lumière du contexte géopolitique que le Consortium pourrait souhaiter prendre en compte. La France a en effet les capacités techniques de faire varier significativement son arsenal pour répondre aux exigences stratégiques futures, compte-tenu (1) de la politique de recyclage qu’elle a mis en place pour les matières indispensables aux armes, et des quantités qui pourraient être disponibles et qui sont associées au nombre d’armes qui existaient à la fin de la Guerre froide, même si les efforts de désarmement ont conduit à largement réduire les stocks français ; (2) de sa capacité à pérenniser sa Dissuasion grâce à son Programme de Simulation conjugué aux acquis uniques de l’ultime campagne d’essais nucléaires de 1995-1996. - La seconde a trait au caractère démonstratif de la volonté du consortium à protéger ses intérêts vitaux. Dans cette optique, une extension du déploiement des moyens de la Dissuasion à l’ensemble du territoire à sanctuariser pourrait être un signe fort de la volonté commune. Cette extension contribuerait également à compliquer pour les adversaires potentiels l’analyse de la situation. Elle pourrait conduire, nonobstant les concepts de dimensionnement de la Dissuasion, à augmenter par exemple la taille de l’arsenal et/ou le nombre de plateformes susceptibles de mettre en œuvre cette Dissuasion et/ou encore le nombre d’infrastructures associées. Ces évolutions pourraient, bien entendu, concerner des infrastructures situées sur le territoire de tous les membres du Consortium ; ceux-ci seraient également invités à participer à la mise en œuvre des exercices opérationnels.
La composante aéroportée pourrait assez immédiatement permettre de conduire ces évolutions, car elle est, sans conteste, celle qui se prête le plus aisément à un déploiement qui dépasse les frontières françaises. Elle est aussi celle dont la mise en œuvre est la plus souple et la plus visible, en situation de tensions, pour appuyer des postions diplomatiques par des manœuvres appropriées. Elle est enfin celle qui concourt le mieux à la modulation de la taille de l’arsenal, parce que ses coûts marginaux (coût d’une arme supplémentaire, d’une plateforme supplémentaire ou de la « nucléarisation » d’une base aérienne supplémentaire…) sont les plus faibles.
Remarquons que ce système de Dissuasion européenne dont la taille pourrait être modulée par rapport à celle, actuelle, de l’arsenal français, pourrait s’inscrire dans la démarche de réduction du nombre d’armes déployées sur le territoire européen pour peu qu’on le mette en perspective avec les moyens nucléaires actuellement existant en Europe : le décompte brut des armes nucléaires déployées Europe continentale devrait, en toute logique, intégrer à la fois les moyens américains déployés en Europe et les armes françaises. Or, ces armes de l’OTAN font l’objet d’un débat permanent, visant à leur remise en cause par certains membres de l’Alliance tout autant que par les adversaires de l’OTAN, d’autant plus vif que leur « rajeunissement » (armes elles-mêmes, plateformes, infrastructure « nucléaire » des bases aériennes…) est devenu une nécessité. Par ailleurs, après les « tensions » sur les armes nucléaires générées par la crise ukrainienne actuelle, il est parfaitement envisageable que Russes et Américains décident à nouveau de s’asseoir pour négocier un ultime round de désarmement bilatéral au cours duquel l’administration démocrate américaine pourrait voir un atout dans le non remplacement d’une partie de ces armes de l’OTAN en Europe. Le projet de Dissuasion européenne porté par un Consortium d’Etats européens pourrait alors apporter une garantie de substitution pour la Sécurité ultime de l’Europe, si tel était l’aboutissement de cette négociation, tout en permettant de faire un geste pour la réduction du nombre d’armes déployées en Europe.
4. Situer cette initiative européenne comme une contribution à l’OTAN venant compléter les moyens actuels et y suppléer en cas « d’empêchement »
L’Alliance reconnait depuis plus de 20 ans que, bien que n’existant pas lors de la fondation de L’OTAN, les moyens nucléaires français, indépendants, contribuent désormais à la sécurité globale de l’Alliance et que cette indépendance compliquerait les stratégies des adversaires en cas de conflit.
La construction d’une Dissuasion nucléaire européenne autonome n’aurait de sens que si celle-ci pouvait être placée comme un pilier européen de l’OTAN et, dans une certaine mesure, être considérée par l’Alliance comme le sont les Dissuasions française et britannique. Complémentaire aux moyens existants de l’OTAN, elle pourrait s’y additionner en cas de nécessité ou devenir leur suppléant pour le cas où ceux-ci seraient « empêchés ». Elle serait aussi une réponse à la demande des Etats-Unis vis-à-vis des états Européens de voir leurs alliés participer davantage à leur sécurité.
Compte-tenu des a priori et des réticences que soulèverait un tel Projet de Dissuasion européenne, il conviendrait donc, dès son annonce, de situer cette initiative en s’appuyant sur l’exemple, aujourd’hui jugé bénéfique, de la place de la Dissuasion française vis-à-vis de l’OTAN en rappelant qu’il ne s’agit en aucun cas d’une démarche de prolifération mais de sécurité.
Notes
- Un essai nucléaire (Nuclear Test) est une expérience au cours de laquelle fonctionne un système délivrant une énergie par fission de matière nucléaire. Ainsi, au sens du TICE, une expérience mettant en œuvre de la matière nucléaire fissile, mais sans qu’aucune énergie ne soit dégagée par fission est permise. De même ne sont pas interdites les expériences mettant en œuvre des systèmes délivrant une énergie exclusivement par fusion lors de leur fonctionnement.