Si le scénario s’appuie sur la guerre existante et met en jeu des personnages réels, il est de pure fiction.
La guerre en Ukraine se poursuit et les forces russes ont consolidé leurs positions, notamment en Crimée, tandis que leurs adversaires ukrainiens se lancent dans une difficile étape de reconquête. Conventionnelles, bien armées et préparées, les forces russes ont eu le temps de consolider leurs défenses et d’organiser une logistique qui les alimente régulièrement en armes, matériels, nourriture et tous les produits nécessaires à tenir leurs positions dans le temps. Les Russes savent que le temps joue pour eux et qu’en brisant les assauts de leurs adversaires, ils les affaiblissent.
C’est le sujet principal de la réunion entre le président russe, son ministre de la Défense et son chef d’état-major des armées.
Quelque part en Russie.
Officiellement la réunion se tient au Kremlin mais le président n’a pas entière confiance en les défenses de son pays et chaque réunion est organisée au dernier moment dans un endroit différent, tenu secret.
Le président confirme à ses interlocuteurs sa stratégie. Il faut tenir, même au prix de lourdes pertes qui, si elles s’équilibrent avec celles de leurs adversaires, les mettra en position de force pour imposer leur paix. Il réaffirme son objectif principal : annexer les territoires dans lesquels la population est russe, notamment la Crimée. Mais il ne renonce pas à placer à la tête du pays un homme à sa solde, comme il l’a fait en Biélorussie. Il était pourtant prêt, il y a quelques mois, après que les Ukrainiens eurent repris Kherson, à négocier cet objectif mais le temps joue maintenant en sa faveur. Il peut se permettre d’être à nouveau plus exigeant. C’est ce que lui confirme son chef d’état-major. Il est confiant dans l’organisation de ses défenses. Les Ukrainiens perdent beaucoup d’hommes et on peut attendre. Cet enlisement apparent donne du temps pour produire les capacités militaires dont il a besoin, notamment des drones et des missiles. Et mettre à jour ses avions pour qu’enfin la probabilité de tir des armements emportés soit correcte.
Dans l’antichambre, le chef d’état-major de la composante aérienne patiente. Il est nerveux. Il ne s’attend pas à des éloges, même s’il n’a eu aucun détail sur la teneur de la réunion à laquelle il est convié. Il se doute bien qu’on va parler d’Ukraine. Un majordome vient le chercher pour l’inviter à rejoindre la grande salle où se tiennent les trois hommes assis en cercle. Personne ne l’invite à s’assoir. Il reste debout, droit, presqu’au garde-à-vous. Le ton est donné.
Le président lui demande un état des lieux. Il pensait disposer d’une des meilleures armées de l’air au monde, mais la première phase de l’opération a montré de grandes lacunes.
- « Nous travaillons étroitement avec l’industrie pour résoudre les problèmes mais il faut encore du temps », affirme le chef d’état-major de la composante aérienne.
- « Du temps nous n’en avons pas », lui rétorque le chef d’état-major des armées, agacé. « Si vous aviez carte blanche, de quoi auriez-vous besoin pour être prêt à mener une offensive aérienne efficace ? »
La réponse n’est pas celle qu’il attendait.
- « Des F16, des F35 ou des Rafale », dit le chef d’état-major de la composante aérienne. « J’ai les armements parmi les meilleurs au monde, mais quand mes pilotes tirent des bombes ou des missiles, ils ne partent pas ou même, ils peuvent être dangereux pour eux. Donnez-moi des avions avec des systèmes qui marchent. »
Le président ne dit rien. Fidèle à son habitude, l’expression de son visage ne montre aucune émotion. Il est profondément ennuyé. Il sait que ce militaire a raison. Mais il aurait dû le prévoir avant, lui qui était responsable de la préparation des forces placées sous ses ordres. Le chef de la composante aérienne se risque à un autre commentaire :
- « Et maintenant, les Ukrainiens ont des systèmes Patriots et des SAMPT. Ces défenses sol/air vont considérablement compliquer la donne pour nos aviateurs. Nous aurons des pertes lourdes si nous volons au-dessus de l’Ukraine. »
Le président réagit sèchement à cette remarque :
- « Je comprends qu’elles sont plus efficaces que les nôtres qui continuent à laisser passer les drones ennemis jusqu’à Moscou ! »
La réunion tourne court. Le président, irrité, fait sortir sans ménagement le chef de la composante aérienne en lui donnant l’ordre d’accélérer sa préparation :
- « J’attends de vous une armée de l’air prête à combattre, quelle que soit la menace. Qu’elle montre la supériorité des avions et des pilotes russes ! Les Ukrainiens, eux, n’auront eu que quelques semaines d’entrainement sur leurs systèmes américains. Ne me dites pas que vous êtes incapable de les battre. »
Le chef de la composante aérienne aurait voulu répliquer qu’il lui faudrait alors aussi des normes d’entrainement OTAN. Il sait qu’il y a des moments où il vaut mieux se taire. Avant la conquête de la Crimée, en 2014, un début de rapprochement avec la France avait permis un premier exercice aérien conjoint. Même très limité, cet exercice avait bien montré la différence de niveau. Tout s’est arrêté ensuite en raison des sanctions. Il sait que les Ukrainiens s’entraînent depuis longtemps avec l’OTAN. Il pense aussi que les armées de l’air occidentales, dans leur grande majorité, sont indépendantes et pas de simples composantes des armées, toujours sous forte influence des opérations terrestres, comme en Russie. Elles ont pu ainsi s’émanciper et développer des modes d’action adaptés à la fluidité du milieu aérien. Le chef d’état-major des armées n’aurait pas aimé qu’il remette ce sujet sur la table. La forte verticalisation des armées russes est incompatible avec le développement d’une armée de l’air moderne et agile. A contrario, celle des Ukrainiens se modernise rapidement. Ils auront bientôt à la combattre dans les airs. Il se dit que son avenir personnel est devenu très incertain.
Le même jour, à Kiev.
Le président ukrainien tient une de ses réunions régulières qui rythment son emploi du temps de leader en guerre. L’atmosphère est lourde. Les offensives lancées depuis quelques mois sont contre-productives. Il a autour de lui ses principaux chefs militaires. Ils font aussi le constat que ces offensives les affaiblissent. Ils auraient besoin de la protection militaire directe de l’OTAN mais le président ukrainien a compris depuis le sommet de Vilnius que les Alliés n’étaient pas prêts à intégrer dans l’OTAN un pays en guerre contre la Russie, puissance nucléaire. Si les forces ukrainiennes arrivent à stabiliser la situation, il devra aller à la table des négociations et perdra les provinces occupées. Il peut espérer y gagner des gages de sécurité. Du moins c’est ce qu’ont affirmé les Alliés. Mais tout est encore flou. La dernière fois que la communauté internationale a promis à l’Ukraine de tels gages, c’était trois ans après le 24 août 1991, jour où le pays recouvra son indépendance. Faisant suite au mémorandum de Budapest, l’Ukraine, le Kazakhstan et la Biélorussie acceptèrent le transfert de l’armement nucléaire soviétique situé sur leur sol à la Russie, contre une garantie de sécurité donnée par les USA, la Grande Bretagne et cette même Russie. Ils ont vu la suite…
Le président fulmine et exprime ses doutes devant ses grands subordonnés :
- « Comment croire la communauté internationale ? Peut-être les Alliés y croient-ils maintenant, mais dans dix ans ? Dans vingt ans ? Les Alliés, Américains en tête, ne nous ont pas suivis et les pays de l’est de l’Europe, nos voisins pourtant si prompts aux grandes annonces dès qu’il s’agit d’obtenir des financements et des aides, ne se sont pas beaucoup mobilisés en faveur de l’adhésion immédiate de l’Ukraine à l’OTAN. Certains pays nous poussent même à négocier, mais sans gain militaire notable, on se retrouvera en position de faiblesse contre la Russie. Une faiblesse qui se paiera dans le temps. »
Ses généraux écoutent en silence. Ils ne seraient pas loin de l’accuser de traitrise, voire de prendre sa place, s’il se montrait faible. Il sait que, comme le président russe, il est entouré de personnages préférant mourir qu’accepter une négociation perçue comme une défaite. Il lui faut alors continuer l’offensive mais en lui donnant un autre ton. Après avoir fait une réelle démonstration de la capacité des forces ukrainiennes à mettre en œuvre des solutions chaque jour innovantes, le président constate que la guerre est revenue à un combat d’artillerie et de tranchées. Certes, elle met en œuvre des moyens de guerre électronique, des drones, des capacités nouvelles, toutes soutenues par des outils digitaux qui les optimisent, mais finalement le combat redevient assez conventionnel. Il ne fait plus réellement progresser sur le terrain et, tous les jours, le nombre des morts et des blessés augmente. C’est d’autant plus préoccupant que les difficultés de recrutement sont réelles. Après l’euphorie des premiers jours, les nouvelles recrues ne se pressent plus dans les centres. Il faut les enrôler de force. On ne peut pas compter sur leur motivation sans faille. Les désertions sont nombreuses. S’ajoute à ce tableau noir les problèmes de corruption qu’il a dû réprimer violemment. Il sait qu’il lui faut rester très vigilant sur ce sujet, hélas endémique dans son pays.
Il se retourne vers son ministre de la Défense et ses généraux :
- « Pourquoi votre offensive est-elle si lente ? En décembre 2022, nous avons repris des milliers de kilomètres carrés en quelques semaines seulement. »
Le chef d’état-major des armées prend alors la parole :
- « Les Russes se sont adaptés. Au début, nous les avons surpris. Nous connaissions leurs forces et leurs faiblesses. Tous les jours de cette guerre, nous avons innové. Même les pays les mieux équipés de l’OTAN nous reconnaissent cette capacité à surprendre et à mettre en œuvre des systèmes nouveaux, parfois civils détournés de leur usage premier. Nous continuons, mais nos adversaires s’adaptent et même ils nous copient. Plus la guerre durera, plus ils seront efficaces. Contrairement à nous qui avons pu nous entraîner avec et contre les pays de l’OTAN dans le cadre des partenariats qui nous ont fait progresser très vite, ils ont joué tout le temps à domicile, entre eux. C’était leur plus grande faiblesse. Mais nous leur offrons ce qui leur manquait : un adversaire capable de les faire évoluer. C’est le revers de la médaille de cet affrontement. Vous devriez le faire savoir à l’OTAN. Je connais bien les Russes. Ils sont résilients. Ils prennent des coups mais ils restent combatifs. Ils analysent leurs faiblesses et ils trouveront des solutions comme ils l’ont toujours fait. Ils progressent plus vite en nous observant. Plus le temps passe, plus la Russie se renforce militairement. Les pays de l’OTAN ne l’ont pas compris car ils jugent avec leurs yeux d’occidentaux. Il n’y a qu’une seule option pour l’éviter : il faut que les Alliés nous aident plus directement afin d’accélérer notre victoire. Ils n’ont pas le choix. A défaut, ils en paieront un jour le prix. »
- « Il y a quand même quelques bonnes nouvelles qui sont venues de Vilnius et des discussions que nous avons eues avec les Alliés », rétorque le président. « L’effort de guerre pour nous soutenir continue même s’il commence à être remis en question dans plusieurs pays. Dont, hélas, les États-Unis. »
- « Oui, répond le chef d’état-major, mais si recevoir du matériel sophistiqué comme des chars ou des avions de combat est un bel affichage, nos armées ne sont pas équipées pour les utiliser pleinement, en raison principalement des questions de logistique, d’organisation ou de doctrine qui les accompagne. Nous sommes en guerre et nous n’avons pas de temps à consacrer au développement de nouvelles doctrines. Nos soldats s’adaptent du mieux qu’ils le peuvent et ils le font bien. Nous pouvons être fiers d’eux. Mais pour ces capacités, il faudra quand même bien réfléchir à leur utilisation, au risque de les perdre bêtement, ce qui offrirait à notre adversaire de belles opportunités de communication. Heureusement, les Alliés nous aident, mais nous n’avons pas le luxe de consacrer du temps à l’entrainement. »
- « Alors, si nous voulons marquer les esprits et pousser nos alliés à s’engager plus fortement, il va falloir prendre des risques, » dit le président. « Il nous faut attaquer plus ouvertement le territoire russe. Avec les avions et tous les armements disponibles. Je pense notamment aux missiles de croisière britanniques et français. »
- « Vous savez, dit le ministre de la défense, que les Alliés craignent l’escalade dans laquelle ils ne veulent pas être impliqués malgré eux. Ils savent qu’avec les armements qu’ils nous accordent et qui mettent du temps à venir, ils ouvrent la voie à une possible extension du conflit au territoire russe. J’ai pu le constater encore hier lors d’un entretien téléphonique avec mon homologue américain. Ils multiplient les mises en garde. Vous les avez plusieurs fois rassurés sur ce point, non ? Ils me disent qu’ils pensent que vous tiendrez votre parole. Le croient-ils vraiment ?»
Le président répond, les yeux fixes, sans regarder ses interlocuteurs. Il pense à voix haute :
- « Est-ce qu’ils ont tenu parole sur les garanties de sécurité après le démantèlement de nos armes nucléaires ? Pourquoi leur serais-je si fidèle ? Je pense qu’ils ne me prennent pas au sérieux. Il faut juste attendre le bon moment, pour que l’utilisation de ces armements contre la Russie soit crédible et jugée comme légitime. On peut compter sur les Russes, l’occasion viendra et je compte bien ne pas la manquer. Pour nous comme pour notre population, il y a maintenant beaucoup moins à perdre qu’à gagner à aller vers un affrontement plus dur. Quand serons-nous prêts à mettre en vol nos nouveaux avions de combat ? »
- « Faisons entrer le Lieutenant-colonel Wolodymyr », propose le chef d’état-major. « Comme nos amis de l’OTAN, nous nous contenterons de son prénom sans dévoiler son nom. Wolodymyr était un de nos pilotes les plus expérimentés sur Mig 29 et il est rentré hier des États-Unis où il a achevé sa formation sur F16. »
Le lieutenant-colonel n’est pas un inconnu du président. Il contribua, au début de la guerre, à la création de la légende de « l’ange de Kiev », ce pilote ukrainien héroïque qui abattit de nombreux avions russes et périt en plein ciel de gloire. Bien sûr cet ange n’a jamais existé, mais il donna à son pays une figure héroïque à admirer et suscita de nombreux engagements pour aller se battre.
Le lieutenant-colonel entre et salue respectueusement les autorités en présence. Grand, blond, les yeux bleus et un corps d’athlète, il montre une belle assurance. Il porte avec fierté une tenue impeccable sur laquelle sont épinglées les ailes américaines de pilote. Le détail n’échappe pas aux autorités en présence. Le président est satisfait. Ce pilote a été bien choisi et il fera un superbe porte-drapeau de la puissance aérienne ukrainienne. Il l’interroge sur la qualité des avions et leur niveau de préparation :
- « Mes premiers pilotes sont prêts car nous avons mis les bouchées doubles dans notre entrainement. Sincèrement, Monsieur le président, nous avons sauté dans une autre ère avec ces avions. Et surtout avec les tactiques adoptées par les Américains et l’OTAN. Ces appareils ne sont pas des F35 ou des Rafale, mais j’attends avec impatience nos premiers engagements contre les Mig et les Sukhoi russes. Nous sommes prêts à combattre. Mais quand aurons-nous ces avions ? »
- « Je vais bientôt rendre une visite aux Pays-Bas et au Danemark et je reviendrai avec, je vous le promets. Continuez à vous entraîner. Vous serez prêts à attaquer la Russie si je vous l’ordonne ? »
Wolodymyr regarde le président droit dans les yeux et sourit :
- « Nous irons jusqu’en enfer pour combattre les Russes si c’est nécessaire. Donnez-nous ces avions le plus tôt possible. »
Le président, en le regardant sortir, pense avoir trouvé cet « ange de Kiev » dont il a bien besoin. Mais cet officier ne sait pas que ce ne sera pas aussi simple…
Quelque part en Russie.
Le président russe se prépare à l’éventualité d’une attaque plus sérieuse du territoire russe. Il est à nouveau en présence de son cercle rapproché, le ministre de la Défense et le chef d’état-major des armées. Le ministre des Affaires étrangères est aussi présent.
- « Sommes-nous confiants dans notre capacité à stopper ces attaques », demande-t-il ?
Le chef d’état-major des armées peut se permettre, en raison de sa proximité avec le chef de l’État, des excès de franchise.
- « Vous avez entendu le chef de la composante aérienne. Notre défense sol/air n’est pas aussi infranchissable qu’on a bien voulu le faire croire à nos adversaires.
Le ministre des Affaires étrangères s’adresse directement au président :
- Nous devons faire comprendre à la communauté internationale que toute attaque contre la mère patrie déclenchera une réponse nucléaire. Il faut qu’ils soient persuadés qu’une attaque contre notre territoire serait une atteinte à nos intérêts vitaux. Nous serions alors en état de légitime défense et nous utiliserions, contre l’agresseur et tous ses soutiens, la totalité de notre arsenal militaire. »
- « Bien sûr, renchérit le ministre de la défense, nous pourrons graduer la réponse au regard de la gravité de l’attaque. C’est bien pour cela que nous nous sommes dotés de ces moyens nucléaires « tactiques » qui inquiètent tant l’OTAN. Nous préserverons ainsi les composantes stratégiques qui resteront en alerte. Les Alliés savent que nous, la Russie, sommes le pays qui a la puissance de destruction nucléaire la plus massive du monde. »
- « Et celles-là marcheront, nous en sommes certains, lance le président, échaudé par la performance des armements conventionnels de ses armées ? »
- « Nos adversaires doivent se poser la même question et ils n’ont pas la réponse », répond le ministre des affaires étrangères sur un ton flatteur. « Mais il est certain qu’ils ne viendront pas s’y frotter tant que tu afficheras une détermination sans faille. Le risque de « payer pour voir » est trop important. Ils te voient déterminé. C’est notre force. »
- « Dans ce cas, il faudra mobiliser aussi la Nation tout entière et adopter toutes les mesures de protection en cas d’attaque nucléaire contre la Russie, intervient le chef d’état-major des armées. Sans cette capacité à mobiliser tout le pays, notre crédibilité sera insuffisante. »
Une fois n’est pas coutume, le président sourit. Il imagine mal, si on en arrive là, ses homologues européens et américains exiger de leurs populations qu’elles acceptent des mesures de protection préventives contre ce type d’attaque. Comment alors une menace nucléaire exprimée par ces pays pourrait-elle être crédible ? Comment un leader, américain, britannique ou français, pourrait-il tenter de le dissuader sans plan crédible de protection ? Il sait que ces plans n’existent pas ou au moins que la population n’y est pas entraînée. Les Russes non plus, mais depuis longtemps les métros des grandes villes ont aussi été conçus comme des abris. Les Russes sauront se mobiliser sans poser de question le moment venu. La propagande a plutôt bien marché jusque-là. Ce qui arriverait serait la faute de l’Ukraine et des fascistes qui sont à sa tête, soutenus par leurs partenaires de l’OTAN.
Le président se demande, s’il utilise ses armements nucléaires tactiques, comment les Alliés y répondraient.
Comme s’il avait deviné cette interrogation, le ministre des Affaires étrangères poursuit :
- « Les Alliés affirment de façon répétitive, dans leurs déclarations à l’issue des sommets de l’OTAN, que les armes nucléaires ne sont jamais « tactiques ». Ils veulent nous imposer leur vision d’une séparation étanche entre armes conventionnelles et nucléaires dont la vocation est purement défensive. La déclaration de Vilnius n’y échappe pas et réaffirme que l’utilisation d’armes nucléaires altèrerait la nature de la guerre. Cette déclaration veut nous dire : ne touchez pas à vos armements nucléaires, quels qu’ils soient, car nous irions vers une guerre nucléaire. Mais finalement, dans leurs déclarations, chacun dans leur coin, Français, Allemands, Américains et tous les autres, reprennent notre grammaire sur le nucléaire « tactique ». La presse s’en fait le meilleur écho. Ils montrent ainsi leur incapacité collective à se tenir à une déclaration commune forte. Ils considèrent nos forces nucléaires crédibles et je le redis, ils n’ont aucun doute sur ta détermination politique à les utiliser si nécessaire. Nous devons continuer à brandir cette menace haut et fort dans notre communication stratégique. Cette communication est un des piliers de la dissuasion. Les Occidentaux en jouent très mal et cette faiblesse jette un doute bienvenu sur leur capacité à se tenir à leurs résolutions.
Le président acquiesce du regard. Satisfait, il réfléchit puis il reprend la parole :
- « Il y a quand même un sujet avec la Chine. On ne peut pas se permettre de perdre la neutralité de la Chine, même si elle est finalement toute relative en ce qui concerne l’Ukraine. Je ne fais pas confiance à son président. Il se croit tellement supérieur et ne cesse, malgré ses positions officielles en notre faveur, de nous envoyer des signes de réprobation. Ainsi l’absence de représentant aux cérémonies du 09 mai ou l’oubli de nous inviter au sommet des pays d’Asie centrale qu’il a organisé, ont été des messages clairs envoyés à la communauté internationale. Le 09 mai, je ne l’ai pas digéré ! C’est un symbole fort chez nous. Nous célébrons la fin de la deuxième guerre mondiale qui a coûté la vie à des millions de Russes. Le défilé militaire sur la place rouge avait une signification particulière cette année. Mais non, il affirme son soutien à notre cause, mais dans notre dos, il ne manque pas de donner des gages aux Occidentaux. Je suis bien obligé de m’en contenter mais la Russie ne pourra jamais s’associer de près à ce pays qui nous vassaliserait immédiatement. Aujourd’hui cette l’ambiguïté nous sert et la Chine, principalement en raison de la question de Taiwan, ne s’opposera pas officiellement à notre action en Ukraine. Pourtant, sachez-le, je reçois régulièrement des signes clairs pour que nous fassions tout pour que la situation redevienne stable. »
- « L’Ukraine était, comme tu le sais, une des têtes de pont des routes de la soie, réplique le ministre des Affaires étrangères. Je suis d’accord avec ton analyse. La Chine ne s’opposera pas à notre action sur l’Ukraine, sauf, peut-être, si nous en venons à utiliser des armes nucléaires. Sur ce sujet, ton homologue a été assez clair et ferme. Les Occidentaux sont prédictifs et faibles. La Chine ne l’est pas mais je reconnais que je ne sais pas bien mesurer les conséquences de leur mise en garde. »
- « Oui, c’est le paramètre de l’équation qui nous manque, poursuit le président. Il y a quand même aussi un doute sur la réaction de la France. Ce pays est assez déroutant avec son président capable de dire et de faire tout et son contraire. Je l’ai rencontré plusieurs fois mais… je reste dubitatif sur ses réelles convictions. Et cela ne m’arrange pas. Je pense savoir dissuader les Américains qui ne sont pas sur leur sol et ne prendront pas le risque de porter la guerre chez eux. Ils dirigent le jeu quand il s’agit de nucléaire dans le camp occidental. Les armes de l’OTAN sont américaines et ils en détiennent les clés. Les Britanniques sont soi-disant souverains mais leur armement est américain. Ils ne savent même plus faire des sous-marins sans leur grand frère ! De là à utiliser des armes nucléaires sans leur autorisation… Mais pour la France, c’est différent et c’est le facteur qui complique l’équation. Malgré tout, je sais que nous comptons toujours pas mal de soutiens en France, en raison des liens historiques entre nos deux pays et parmi ces soutiens curieusement pas mal de militaires, un peu nostalgiques d’un pouvoir fort. Les rédacteurs de la tribune adressée à deux reprises au secrétaire général de l’OTAN, lui reprochant son soutien à l’Ukraine et son inféodation aux Américains, le prouvent. Un de leurs anciens présidents nous aide bien aussi avec ses déclarations récentes qui vont plutôt dans notre sens. Je veux qu’on continue à influencer dans l’ombre ces Français qui nous soutiennent…. N’excluons pas de pouvoir un jour mettre sur le dos de nos adversaires et des Américains une riposte plus forte pouvant aller jusqu’à l’utilisation de notre arsenal nucléaire si nous étions sérieusement attaqués sur notre territoire. Dans cette perspective, nous devons utiliser toute notre capacité d’influence pour cultiver le sentiment anti-américain qui se développe en France. »
Le président sait que, si pendant la guerre froide les abris antiatomiques étaient nombreux, à la fois pour protéger les forces mais aussi la population, aujourd’hui dans les pays les occidentaux, on ne creuse plus un métro ou un tunnel en pensant qu’il pourrait servir à se protéger. On ne s’équipe plus de capacités de protection contre les armements nucléaires, radiologiques, bactériologiques ou chimiques. Les Alliés pensent qu’en matière nucléaire, ils auraient le temps de se préparer ! Il vient de leur montrer que tel n’est pas le cas et il est bien tenté d’aller plus loin dans la démonstration. Il sourit à nouveau. Il pourrait se contenter de frapper par erreur une centrale nucléaire en Ukraine. Oups, on demande pardon mais on crée un gros émoi et on remet en cause toute les politiques énergétiques qui sont fondées sur le nucléaire. Ils viendront nous acheter notre gaz en suppliant ! Il a beaucoup de cartes maîtresses en main. Avec cette incertitude sur la réaction de la Chine, son seul vrai souci. Mais il continuera de jouer la carte de la dissuasion et de tester les Occidentaux.
Réunion du Conseil de l’Atlantique Nord en format ambassadeurs, Bruxelles.
L’OTAN de son côté parle finalement peu du risque nucléaire. Les dirigeants des pays alliés, pour une grande partie, ne sont pas très familiers de ces questions de dissuasion nucléaire. Ils s’en remettent beaucoup aux Américains. Dans sa décision de réintégrer la structure militaire de l’OTAN, la France n’a pas rejoint le groupe des plans nucléaires et ne s’y exprime donc pas.
Pour les Alliés, la dissuasion n’est pas que nucléaire. Elle est aussi conventionnelle et une majorité d’entre eux estiment qu’elle a failli, sans trop savoir l’expliquer. On peut affirmer qu’à ce stade, les Alliés ne sont pas intervenus militairement en soutien direct de l’Ukraine, parce que l’adversaire russe est une puissance nucléaire. Les Russes de leur côté ont préservé les pays de l’Alliance car elle est une alliance nucléaire. La dissuasion nucléaire a donc jusque-là fonctionné. Mais rien n’a dissuadé la Russie d’attaquer l’Ukraine avec des armes conventionnelles. Si on donne au terme « dissuasion » un sens élargi aux forces conventionnelles, alors elle n’a pas fonctionné. C’est une source de confusion dans l’Alliance qui désoriente certains et en arrange d’autres, plus provocateurs et en faveur d’un soutien direct à l’Ukraine.
Il y a un trublion dans cette arène qui essaie de faire un peu de pédagogie sur le sujet. C’est le SACT (Supreme Allied Commander Transformation ou commandant suprême allié pour la transformation de l’OTAN) cet officier général français, un des deux commandeurs stratégiques de l’OTAN. Il siège dans le groupe es qualité et non pas en tant que Français. Chacun est persuadé qu’il porte ainsi indirectement la voix de la France dictée directement de Paris. Les Alliés ne s’imaginent pas une seconde que la France n’organise pas son influence. En fait il ne reçoit aucune directive. Il y parle à compte d’auteur avec ses compétences, lui qui a dirigé l’armée de l’air et de l’espace française, qui compte la composante aéroportée nucléaire en son sein. Il a un peu agacé au début et un petit pays (il n’y a pas de petits pays dans l’Alliance où tous sont égaux, mais certains sont quand même plus gros que d’autres) a demandé, lors d’une réunion, quelle était sa crédibilité. Quand un petit pays s’exprime ainsi dans l’arène des Alliés, il est toujours le porte-parole d’un plus gros qui n’ose pas s’exposer sur la question. Immédiatement, ce commandeur français, pilote de chasse habitué à réagir vite, lui a parlé de l’armée de l’air française et de la composante nucléaire aéroportée la plus puissante d’Europe, lui demandant si c’était à ses yeux suffisant comme crédibilité et si le porteur de la question pouvait en justifier autant. Silence. Plus jamais on ne lui pose cette question. Beaucoup des pays européens l’écoutent d’ailleurs et les Américains ont trouvé pertinent de travailler avec lui pour européaniser le sujet. Ils ont bien essayé aussi de l’instrumentaliser un peu… Ils ont compris que ce ne serait pas possible. Ils trouvent maintenant bien utile ce partenaire qui leur permet de redévelopper, au sein de l’OTAN, une culture nucléaire que les Alliés ont trop laissé de côté depuis des années.
Dans l’Alliance, le sujet du nucléaire tactique et de la réaction à avoir si le président russe utilise ce type d’armement n’est finalement pas beaucoup débattu, parce le sujet est trop complexe. L’Ukraine n’est pas membre de l’Alliance et l’article 5 de l’OTAN ne s’applique pas. Et si la Russie frappait avec ses armes nucléaires tactiques un pays de l’OTAN ? Les Alliés l’ont affirmé et réaffirmé : l’utilisation d’armes nucléaires altèrerait la nature de la guerre. L’Alliance mettrait alors ses forces nucléaires en alerte renforcée. Mais par quelle action répondrait-elle à l’agression ? Les Alliés décideraient-ils de prendre le risque d’une confrontation nucléaire ? Ils sont très dépendants de la réaction des Américains, qui travaillent aussi hors Alliance avec les Britanniques et les Français, en format « P3 » sur le sujet. Un bon moyen pour les Alliés de laisser faire les experts sans trop intervenir. Tous y trouvent leur compte, car la plupart des pays détenteurs des armes nucléaires américaines dans l’OTAN ne souhaitent pas vraiment le faire savoir à leur population. Cette forme de mensonge par omission est admise, pour ne pas alarmer. Certains de ces Alliés s’expriment même dans d’autres forums en faveur de la dénucléarisation. Politique et schizophrénie vont souvent de pair. Pourtant l’OTAN doit parler d’une seule voix, surtout face à une Russie qui ne cesse de menacer d’utiliser son arsenal nucléaire. Le choix de l’avion F35 par l’Allemagne, dicté par l’emport de la bombe nucléaire américaine, a quand même ouvert le débat, dans un pays qui faisait partie de ceux qui évitaient d’aborder le sujet ouvertement. La population allemande ne s’y est pas opposée. Le conflit ukrainien et le chantage du président russe aident à justifier le maintien des armes nucléaires, mais dans un cadre défensif et de légitime défense. L’emploi « tactique » cependant, suggère un emploi offensif par la Russie. Le président russe joue de cette asymétrie qui perturbe les débats au sein de l’Alliance. Comment imposer à la Russie un retour à la symétrie d’emploi, purement défensive, au-delà des déclarations consistant à suggérer que la réponse à l’utilisation d’armes nucléaires serait nucléaire ?
La réunion tente d’aborder tous ces sujets mais, une fois de plus, ce sont beaucoup les Américains qui parlent. Après les débats, le secrétaire général de l’OTAN est prêt à conclure mais le SACT français pose une question :
- « Les avions F16 qui vont être livrés à l’Ukraine sont les mêmes que ceux qui portent, dans les différents pays de l’OTAN, l’arme nucléaire. Même si je sais qu’ils se sont engagés à ne pas le faire, si nos amis ukrainiens devaient malgré tout attaquer le territoire russe, êtes-vous certain qu’il n’y aurait pas d’ambigüité si une alerte nucléaire devait être renforcée ? Les Russes ne pourraient-ils en jouer ? »
Il y a parfois des questions que les dirigeants n’aiment pas voir poser car ils n’en ont pas la réponse. Le SACEUR (Supreme Commander Europe) général américain, homologue du SACT et en charge des opérations, rassure en affirmant que des assurances formelles ont été données par les Ukrainiens sur l’utilisation de ces appareils sur le seul territoire de l’Ukraine. Dans le cas où ils décideraient malgré tout une offensive en Russie, ils opèreraient uniquement depuis l’Ukraine qui n’a pas d’armes nucléaires, ce qui enlève toute ambiguïté. Les deux commandeurs assis l’un à côté de l’autre échangent un bref regard d’inquiétude malgré tout. Le secrétaire général de l’OTAN conclut la réunion qui a plus servi à informer les Alliés qu’à débattre des problèmes. La question de la réponse à un possible emploi d’armes nucléaires dites « tactiques » par la Russie est finalement restée sans réponse.
Kiev.
Le président ukrainien est plus souriant. Il sort d’une énième réunion avec ses militaires qui viennent de tirer des missiles de croisière avec leurs vieux avions de chasse Sukhoi, modifiés pour emporter ces armements. Ils avaient déjà fortement endommagé un sous-marin russe basé en Crimée. Cette fois, protégés par les F16 récemment livrés, ils ont frappé avec succès des PC enterrés russes. Ces armements sont fantastiques. Les Sukhoi sont restés dans l’espace aérien ukrainien mais, grâce à la portée de ces armements, les objectifs touchés sont en Russie. La chasse russe n’a pas décollé pour s’y opposer. Cela redonne de l’espoir. Une action coordonnée entre forces terrestres et forces aériennes, mettant en jeu ces mêmes F16, a permis une avancée significative en Crimée. Le président sait, bien sûr, qu’il est encore loin d’avoir gagné la guerre, mais il y a longtemps qu’il n’avait pas connu de tels succès.
Il félicite le lieutenant-colonel Wolodymyr qui a dirigé ces offensives :
- « J’irai vous rendre visite bientôt et rencontrer vos pilotes », lui assure-t-il.
- « Ce ne sera pas si facile, Monsieur le Président, car les Russes ciblent nos aérodromes civils et militaires et nous sommes obligés de changer tous les jours de base d’opérations pour éviter de subir des dommages, alors que nous sommes au sol. Cela complique considérablement la logistique. »
La fierté se lit dans ses yeux fatigués. Il profitera de ce court séjour à Kiev pour boire quelques bières avant de retourner au combat, comme le faisaient les premiers chevaliers du ciel pendant la première guerre mondiale. Dans un autre temps, le breuvage aurait été la vodka. Il sourit car la bière c’est presqu’aussi un standard OTAN ! Les Américains ont été très clairs sur la consommation d’alcool durant leur entraînement.
Cette offensive a mis le président russe à nouveau dans une position difficile vis-à-vis de sa population et surtout de l’aile politique dure de son parti qui le critique ouvertement. Ou du moins le critiquait ouvertement jusqu’à l’accident qui valut la mort au chef de la milice Wagner. Mais chez les durs, en Russie, on attend la réponse.
Elle ne se fait pas attendre et ce sont des villes qui sont à nouveaux ciblées, avec des frappes plus massives où l’aviation est engagée. Les défenses aériennes ukrainiennes sont efficaces grâce aux systèmes de missiles sol/air occidentaux et aux F16 emmenés par le lieutenant-colonel Wolodymyr. Les forces russes perdent de nombreux avions. Des pilotes éjectés sont exhibés à la télévision. Un affront de plus. Les pilotes ukrainiens posent volontiers aux côtés de leurs F16 avec devant eux, leurs opposants russes éjectés enchaînés. La Russie jette plus de forces dans cette bataille en tentant de détruire les aéroports d’où les avions ukrainiens décollent, mais ces derniers utilisent une technique d’agilité leur permettant de changer en permanence de point d’attache.
La Russie met en cause directement l’OTAN qui livre les capacités militaires. La guerre des communiqués s’amplifie et la Russie touche d’autres sites civils en Ukraine, dont un qui crée de nombreuses victimes.
Le président ukrainien est à son tour acculé et lance plusieurs offensives sur le territoire de la Russie, sans en référer à l’OTAN. Les Alliés réprouvent officiellement ces attaques mais en rangs dispersés, car nombreux sont ceux qui les approuvent en fait.
Quelque part en Russie.
- « Les conditions météorologiques n’empêchent pas la chasse ukrainienne de voler et de nous cibler avec des armements de précision », s’inquiète le président russe en s’adressant au chef de la composante aérienne, une nouvelle fois sur la sellette.
- « Non, mais nous avons aussi intensifié nos opérations, répond ce dernier. Notre industrie a fait des merveilles et nos systèmes marchent mieux. Mais nous avons en face de nous des F16… »
- « Arrêtez avec ces fausses excuses, nos Mig et nos Sukhoi valent tous les F16 du monde ! Il faut enrayer ces attaques contre notre territoire. Mettez en œuvre toutes vos forces pour les contrer et détruisez toutes les bases depuis lesquelles ils opèrent. »
- « Monsieur le président, c’est ce que nous faisons et je leur réserve une petite surprise…. »
Un aéroport du nord-ouest de l’Ukraine.
Le lieutenant-colonel Wolodymyr briefe ses pilotes. La mission du jour vise des postes de commandement en Russie, proches de la frontière. Le renseignement a montré des mouvements importants dans une zone industrielle, corrélée par l’écoute de transmissions qui n’offrent pas de doute sur la nature militaire de l’activité détectée. Les Russes aussi se sont adaptés et déploient régulièrement leurs postes de commandement d’opérations dans des zones nouvelles, pour échapper aux frappes aériennes. Le briefing est rapide, dans un hangar. Les équipages et les mécaniciens ont froid, il faut aller à l’essentiel.
- « La météo est mauvaise, mais ne nous empêche pas de voler. Nous allons décoller pour attaquer ce centre d’opérations. Nous resterons bas pour éviter les missiles sol/air moyenne et longue portée. La mauvaise visibilité nous protègera contre les systèmes de plus courte portée. Il faut s’attendre à un fort brouillage des signaux GPS mais nos systèmes améliorés à base d’intelligence artificielle nous permettront de garder une bonne précision de navigation. Les appareils équipés de bombes décolleront après ceux chargés de contrer la chasse russe. Votre but n’est pas d’aller engager l’ennemi mais de le tenir à distance, le temps que les bombardiers puissent délivrer leur armement. Bonne chasse ! »
La première partie de la mission se déroule sans problème. Les appareils, contraints de décoller d’un aérodrome très éloigné et sans possibilité de ravitaillement en vol (les Alliés ne veulent pas les soutenir ouvertement dans leurs actions offensives) franchissent la frontière avec peu d’autonomie en carburant sur la zone d’engagement. Rapidement, ils sont harcelés par la chasse russe et les F16 chargés de bombes parviennent quand même à délivrer leur armement. Le harcèlement les contraint à de nombreuses manœuvres coûteuses en carburant. Ils perdent un appareil dans la bataille et Wolodymyr ordonne le retrait. Mais alors qu’ils repassent la frontière ukrainienne, ils apprennent que les terrains où ils sont susceptibles de se poser font l’objet d’une attaque massive. Les jauges de carburant sont proches de zéro. Le moteur d’un des F16 s’arrête et le pilote doit s’éjecter. Wolodymyr décide l’atterrissage d’urgence sur un terrain proche, en Pologne.
Moscou, deux heures après l’atterrissage des F16 en Pologne.
Igor court dans les couloirs du Kremlin, car il doit voir le président de façon urgente. Il serre sur sa poitrine une serviette qui contient des documents marqués Très Confidentiel. Il est reçu immédiatement. Le président est avec le chef d’état-major des armées qui vient de l’informer. Igor montre les photos des F16 ukrainiens posées sur la base aérienne polonaise.
Le président russe regarde son chef d’état-major. Ce dernier lui a appris quelques minutes plus tôt la destruction de plusieurs postes de commandement en Russie et la perte de plusieurs autorités militaires dont l’un était proche du président.
- « Nous avons les preuves que nous attendions de l’implication directe de l’OTAN. La Pologne est un membre de plus en plus influent au sein de l’Alliance pour l’Atlantique Nord », dit le chef d’état-major.
Le président baisse les yeux et réfléchit. Il sait qu’il doit réagir vite et demande que le ministre de la Défense les rejoigne. Ils prendront tous les trois la décision qui s’impose. Il congédie Igor qui comprend que l’heure est grave et se retire la tête basse.
- « Ces photos sont incontestables et non truquées », demande le président ?
- « Oui, elles le sont. Mais je pense qu’à l’heure actuelle les F16 ont déjà dû repartir pour l’Ukraine. Nous en aurons bientôt la confirmation. »
- « Ils ont opéré depuis une base de l’OTAN. Même si c’est au retour de leur mission, je ne peux pas ne rien faire. »
Quinze minutes plus tard, ils sont rejoints par le ministre de la Défense. Le président se tourne vers lui :
- « Appelez-moi le président américain en ligne directe. »
Varsovie.
Le président polonais est très embarrassé. Il est en réunion de crise avec son chef d’état-major des armées, le ministre de la Défense et son équipe rapprochée.
- « On ne pouvait pas les empêcher de venir chez nous ? »
- « On n’a pas eu le temps de réagir, Monsieur le président, lui répond le ministre. C’est allé très vite et, à ce qu’on me dit. Vu le carburant mis dans les F16, ils n’avaient plus que quelques minutes de vol. On n’a pas aidé les Ukrainiens, on a offert une assistance à des appareils en urgence absolue. »
- « Allez expliquer cela au président russe, coupe le président ! Les Ukrainiens commencent à m’enquiquiner sérieusement ! »
Tous le regardent. Depuis quelques temps, les relations avec l’Ukraine se sont tendues, après que le président ukrainien a accusé la Pologne de manque de soutien. Pourtant, ils n’ont pas vraiment essayé d’empêcher les F16 de mener des attaques en Russie. Le président polonais, sans l’avouer publiquement, le regrette maintenant.
- « Mettez toutes nos forces en alerte renforcée et je veux parler au président américain. Il faut convoquer un conseil de l’OTAN au plus vite. »
Washington, Maison Blanche, quelques minutes plus tard.
- « Vous savez pourquoi le président russe m’appelle, demande le président à son chef d’état-major ? »
- « Oui, les F16 qui ont attaqué les postes de commandement en Russie se sont posés en Pologne. C’était un déroutement et ils n’ont pas vraiment opéré depuis cette base. Ils en sont repartis aussitôt les pleins faits. Notre analyse à chaud est qu’en attaquant leurs bases d’opérations pendant qu’ils étaient en vol, les Russes leur ont tendu un piège dans lequel ils sont tombés. Ils n’avaient plus d’autre option. Il faut vous attendre à une position dure du président russe. »
- « Oui, répond le président. Si le président russe veut me joindre, je doute que ce soit pour me parler de déroutement. N’avions-nous pas moyen d’empêcher les Ukrainiens d’attaquer la Russie ? Le président ukrainien a-t-il conscience des conséquences de ses décisions alors qu’il nous doit tant ? »
Un rapide conciliabule s’engage pour préparer le contact avec le président russe. Le président imagine que le but de son homologue est de profiter de la situation pour négocier quelque chose. A tort.
- « On prévient les Alliés demande un conseiller ? Le président polonais essaie de vous joindre. »
- « Pas maintenant », répond le président.
Le président russe, fort de ses déclarations répétées sur l’atteinte de des intérêts vitaux de la Russie, attaque d’emblée. Dès qu’il a en ligne le président américain, il lui annonce qu’il détient les preuves que des F16 ukrainiens ont opéré depuis une base de l’OTAN, en Pologne. Il annonce une riposte foudroyante car les Alliés ne l’ont pas pris au sérieux. Il prévient qu’il vient de placer toute la Russie en alerte nucléaire et que toutes ses forces stratégiques nucléaires sont maintenant prêtes à agir. Il ne doute pas que les satellites américains l’ont déjà confirmé. Ce n’est pas un ultimatum mais une réelle menace de guerre nucléaire totale, si les Américains répondent avec leurs propres armes ou celles de l’OTAN, qui sont américaines, à ce qui va se passer maintenant.
Les Américains qui l’écoutent sont sous le choc. Le président russe conclut, sans même laisser son interlocuteur parler, que sa réponse sera proportionnée mais qu’il est prêt à engager l’apocalypse, selon la réponse des Américains.
- « Pourquoi risqueriez-vous New York, Washington et de nombreuses autres grandes métropoles pour sauver un bout de territoire de l’OTAN ? »
Dans le même temps le président russe a demandé, en accord avec le ministre de la Défense et le chef d’état-major des armées, une frappe nucléaire tactique sur la base aérienne qui a accueilli les F16. Il ne reviendra pas en arrière. L’objectif, proche de la frontière ukrainienne, est limité. La puissance de l’arme aussi mais il s’agit bien d’une frappe nucléaire sur le territoire de l’OTAN.
La partie d’échec s’engage. Le président russe va parler à la nation mais l’action militaire est déjà lancée. Il préviendra le président chinois après la frappe. Celui-ci ne sera pas content, mais tant pis. Il ne faut pas laisser le temps aux Américains de réagir. Le message du président russe est clair : je ne souhaitais pas toucher le territoire de l’Alliance mais vous m’y avez forcé en hébergeant des appareils militaires qui ont attaqué la Russie. Il lance un ordre de mobilisation et met en œuvre un plan de protection de la population en cas d’attaque nucléaire alliée.
Les Américains ont compris ce qui allait se passer. Il doivent se préparer à la suite. Un conseil de défense est convoqué immédiatement, mais le temps qu’il se réunisse, la frappe sur le sol polonais est effective.
La Russie vient de mener une frappe nucléaire et le monde ne sera plus jamais le même. Cette fois la dissuasion a cessé de fonctionner.
Immédiatement, le monde entier entre en émoi. Le conseil de l’Atlantique Nord se réunit dans l’urgence et la Pologne demande l’article 5. Il est voté à l’unanimité. Mais il faut déterminer quelle réponse sera donnée. Le SACEUR met en alerte les forces de l’OTAN, y compris les forces nucléaires.
La Russie conduit une importante manœuvre diplomatique dans le monde non-occidental pour calmer les esprits et justifier son action grâce aux photos prises des F16 en Pologne.
Vis-à-vis des pays occidentaux, il annonce que le seuil de la légitime défense a été franchi et qu’il est prêt à poursuivre.
Certains pays blâment l’Ukraine pour n’avoir pas respecté ses engagements et la Pologne pour avoir accueilli les F16. L’OTAN restera-t-elle solidaire ?
Le président français est assez agacé car le président russe aurait dû l’appeler. La France est une nation nucléaire et ses forces nucléaires ne sont pas subordonnées à l’OTAN. Une discussion s’engage entre Américains, Britanniques et Français. Les Britanniques, poussés par les pays de l’est de l’Europe, Pologne en tête, voudraient réagir avec les forces nucléaires de l’OTAN pour frapper des objectifs russes. Le président ukrainien, invité à participer au conseil en visioconférence, a des mots très durs et demande aussi des frappes nucléaires.
Mais les Américains ont fait leurs comptes. Le risque est trop gros et finalement seule une base a été détruite avec des conséquences limitées sur le terrain. Comme toutes les puissances nucléaires, ils ont mis leurs forces en alerte, mais en essayant de ne pas trop affoler la population. La France et le Royaume-Uni ont fait de même. La Chine reste en retrait et, si elle condamne l’emploi d’armements nucléaires, elle blâme ouvertement l’OTAN pour son soutien aux opérations ukrainiennes en Russie qui a conduit à cette situation. Les pays non nucléaires, dont la Pologne, essaient de faire entendre leur voix mais ils comprennent vite que le jeu n’est plus dans leurs mains.
Les trois nations nucléaires de l’OTAN se sont mises d’accord. La réponse ne sera pas nucléaire mais elle doit être rapide. La Pologne et tous les pays de l’est de l’Europe dont l’Ukraine, fulminent et accusent les États-Unis de trahison. Les États-Unis voudraient clouer au sol les F16 ukrainiens, mais les membres de l’OTAN ne sont pas tous d’accord. Les trois autorités militaires de l’OTAN, les deux commandeurs stratégiques, le Français et l’Américain, et le président du comité militaire, assistent toujours aux réunions politiques. Ils parlent d’une seule voix. Les appareils de l’OTAN porteurs de l’arme nucléaire sont en majorité des F16. La réaction des Russes peut être terrible, car ils ne se poseront pas la question de savoir, si une attaque aérienne est menée sur leur territoire avec ce type d’avions, s’ils sont porteurs d’armements conventionnels ou nucléaires. Il ne faut pas attaquer la Russie. Il faut, surtout, clouer les appareils ukrainiens au sol.
Un plan est rapidement monté pour une attaque massive des forces russes en Crimée. L’attaque intervient deux jours après celle de la base polonaise. Elle est conventionnelle et cible des forces russes. Les Alliés communiquent clairement sur un raid unique de représailles pour inviter la Russie à revenir à une posture conventionnelle.
Kiev, le jour de l’attaque en Crimée.
Le président ukrainien interroge ses subordonnés :
- « Nous avons été trop loin ? »
- « Non Monsieur le président, répond le chef d’état-major des armées. Vous savez comme nous que Wolodymyr est tombé dans un piège. Il n’avait pas d’autre choix que se poser en Pologne, au risque de perdre tous les F16 engagés. »
- « Nous lui avons accordé trop de confiance », dit le président.
- « Peut-être, répond le chef d’état-major, mais la crise nous sert, car les Alliés viennent de s’engager. Profitons-en pour intensifier notre offensive en Crimée. Nos forces terrestres n’ont jamais été aussi prêtes. C’est le moment. Nous ne retrouverons pas une telle fenêtre d’opportunité. »
Depuis quelques jours le président ukrainien ne répond plus aux Alliés. Il approuve l’offensive terrestre.
Quelque part en Russie, quelques jours plus tard.
- « Monsieur le président, nous avons l’avantage car les Alliés n’ont pas répondu par une frappe nucléaire. Mais l’Ukraine en profite et nous risquons de perdre la Crimée. Avec le raid de l’OTAN, nos défenses ont subi des dommages importants et ne tiendront pas si on ne les renforce pas vite. Il faut stopper les Ukrainiens. »
C’est le ministre de la Défense et le chef d’état-major des armées qui parlent :
- « Et vous avez vu ? Si à Moscou, à Saint Pétersbourg et dans toutes nos grandes villes nous préparons la population à une attaque alliée en mettant en œuvre nos plans de protection, les occidentaux peinent à le faire. Ils n’utiliseront pas leur arsenal nucléaire. »
Le président russe menace ouvertement d’utiliser à nouveau son arsenal nucléaire, mais l’Ukraine continue son offensive. Les Alliés avertissent qu’ils vont intensifier leur soutien aux forces ukrainiennes si la Russie maintient son alerte nucléaire.
La Russie tire alors un nouveau missile nucléaire sur les forces ukrainiennes, en Ukraine cette fois. La tentative de dissuasion « conventionnelle » des Alliés a failli. Ils apprennent à leurs dépens qu’on ne dissuade pas une force nucléaire avec des forces conventionnelles.
La tension est à son comble dans le monde entier et les propositions de médiation diplomatique multiplient en Chine, en Inde, au Brésil, en Arabie Saoudite,… Même les États africains s’y mettent. L’action de l’ONU est dense mais le Conseil de Sécurité est inhibé en raison de la présence de la Russie en son sein. Les nations nucléaires occidentales ne mettent toujours pas en alerte leur population. Seules les forces militaires, notamment nucléaires, sont en alerte. Dans les pays alliés, les partis politiques se déchirent et les anti et pro-Russes donnent de la voix. On commence à voir d’inquiétants déplacements de population qui quittent les grandes villes et les abords des grandes infrastructures militaires.
Les Alliés poussent les Américains à mener une frappe nucléaire d’avertissement à partir de la composante OTAN. Mais la Russie en sous-main continue de menacer directement les Etats-Unis, qui ont la décision d’emploi de ces forces. Devant le risque de représailles sur leur territoire, les Etats-Unis bloquent toute action nucléaire dans l’OTAN. La Russie a gagné la bataille de la dissuasion. Son président estime qu’il peut continuer à utiliser ses armes tactiques pour reprendre l’avantage sur les Ukrainiens. Il sait que la possibilité d’une d’escalade est réelle, mais il pense être capable de maitriser ce risque puisqu’il a l’initiative.
Bruxelles, sommet de l’OTAN.
Conviés en urgence à se retrouver autour de la grande table ronde du conseil de l’Atlantique nord, à Bruxelles, les chefs d’Etat et de gouvernement se disputent violemment. Alors que l’habitude veut que le ton soit toujours mesuré et que les différends se traitent en comités restreints, certains haussent le ton. Devant cette ambiance inhabituelle, le secrétaire général de l’OTAN a invité les conseillers, ambassadeurs et ministres à quitter la salle. Ne restent que les chefs d’Etat et de gouvernement. Certains appellent à la guerre. Il faut attaquer la Russie. Que font les Américains ? Le président américain essaie de calmer les débats et de ramener ses confrères à la raison. Il est soutenu par la France et, du bout des lèvres, par le Royaume-Uni qui joue un peu sur tous les tableaux. Plusieurs pays du sud de l’Europe ne disent rien, mais ils sont prêts à suivre la France.
Le secrétaire général essaie de mener les débats mais l’emploi d’armes nucléaires et la perspective d’un conflit nucléaire le terrorisent. Finalement, des options militaires conventionnelles sont approuvées, mais le conseil devra valider les plans d’action. Les Américains se demandent comment sortir de cette crise sans provoquer un désastre. Ils se rendent bien compte combien leur position est difficile. Au plan interne, leur population est aussi très divisée et le parti adverse de celui au pouvoir accuse. C’est facile quand on n’a pas la responsabilité… Il en va de même pour les militaires. Les retraités, surtout ceux qui ont fini leur carrière dans l’OTAN, accusent leur gouvernement de lâcheté. Ceux en charge sont plus prudents et plusieurs fois, le chef d’état-major des armées a pu parler directement à son homologue russe. Ce dernier s’est montré menaçant mais à demi-mots, l’Américain a compris que sans intervention nucléaire américaine ou de l’OTAN, le risque de prolifération était contenu. Mais les Russes continueront d’utiliser leurs armes nucléaires tactiques en cas de difficulté sur le terrain. Une négociation sur la Crimée, en reconnaissant son statut russe, pourrait faire retomber la pression. Mais les Ukrainiens ne baisseront pas les bras, maintenant qu’ils ont des armes efficaces comme ces missiles de croisière qui ont frappé avec succès l’état-major de la flotte russe à Sébastopol.
Paris, Elysée.
Le président a pu parler à son homologue américain. Il n’a toujours pas eu de contact avec le président russe.
Les conseils de défense se sont multipliés ces dernières semaines. Il est entouré de tous les responsables civils et militaires qui suivent de près ou de loin la crise en Ukraine.
- « Quels sont les risques d’une réelle escalade nucléaire, demande-t-il ? Mon homologue américain m’affirme qu’ils restent assez limités, du moins tant que les États-Unis ne bougent pas. Je pense que le président russe le tient au chantage nucléaire. Au moins cette fois, nos amis américains n’ont pas encouragé une intensification du conflit. »
- « Oui, répond le ministre des Affaires étrangères. Car cette fois ils sont potentiellement concernés directement sur leur territoire. »
- « Je n’ai toujours pas eu de contact avec le président russe. Il sait que nous sommes une puissance nucléaire », questionne le président agacé ?
Le chef de l’état-major particulier, général conseiller du président pour les affaires de défense, notamment nucléaires, se risque à un commentaire. L’engagement nucléaire, en France, dépend d’un seul homme : le président de la République. Pour le conseiller et l’assister, un militaire de très haut rang (il a le même rang que le chef d’état-major des armées auquel il n’est pas subordonné) dirige un état-major particulier dont les fonctions se sont élargies au fil du temps, mais dont le but premier est l’emploi des forces nucléaires.
- « Oui, Monsieur le président, mais c’est aussi parce que vous n’avez, depuis le début de la crise, jamais communiqué sur le sujet. Nous n’avons pas pris de position et la Russie le sait. »
- « Et vous voudriez qu’on fasse quoi, mon général ? »
- « C’est lié à votre première question, Monsieur le président : quels risques d’escalade ? Car si risques il y a, ils impliqueront le monde occidental dans son ensemble, avec l’Europe en première ligne. Il est difficilement envisageable que les intérêts vitaux de la France ne soient pas concernés. »
Les autorités autour de la table restent muettes. Oui, une crise nucléaire en Europe toucherait les intérêts vitaux de la France. La question se pose d’attendre et de voir ce qui va se passer, ou d’anticiper dans le but d’éviter l’embrasement.
- « Qu’en pensez-vous mon général », demande le président au chef d’état-major des armées ?
Ce dernier est mal à l’aise. Il a été bien préparé par son état-major. Mais, officier issu de l’armée de terre, sa connaissance des questions nucléaires est récente.
- « Nos forces nucléaires sont en alerte, Monsieur le président. Et nous avons participé aux raids conventionnels de l’OTAN. Comme vous le savez, nous avons mutualisé beaucoup de moyens. Maintenir les forces nucléaires en alerte renforcée, avec leur accompagnement conventionnel, bride beaucoup notre capacité opérationnelle. C’est la limite de la mutualisation des moyens. J’ai eu mon homologue russe au téléphone une fois. L’appel n’a pas donné grand-chose. Il a menacé d’une guerre nucléaire si l’OTAN intervenait, je vous en ai parlé. »
- « Les Européens sont atterrés par la position des Américains, renchérit le ministre des Affaires étrangères. Nous avons peut-être une carte à jouer ? »
- « Comment voyez-vous cela, interroge le président ? »
C’est alors que Gaëtan, jeune conseiller diplomatique à l’Elysée, assis au fond de la salle, que personne ne connaît vraiment, décide à la surprise générale de prendre la parole. Gaëtan est très grand, mince avec une figure juvénile d’adolescent. Il se lève pour parler. Il porte un costume ajusté qui allonge encore plus sa silhouette.
- « Le président russe ne vous a pas appelé car pour l’instant, comme l’a dit le chef de l’état-major particulier, nous sommes restés suiveurs de l’OTAN. Et la question qui effectivement se pose à vous est celle de la légitime défense de la France. Est-ce que nos intérêts vitaux sont atteints ? Non, à ce stade. Vous n’avez donc pas encore sur la table la question de l’emploi de la force nucléaire. Mais le seuil de ces intérêts vitaux est, lui, atteint parce que la dissuasion nucléaire, celle qui permet d’éviter l’emploi d’armes nucléaires, a failli. Nous l’avons affirmé avec l’OTAN. Il n’y a pas d’armes nucléaires tactiques ou non. Il y a des armes conventionnelles ou des armes nucléaires. Le président russe a franchi le seuil nucléaire. La dissuasion a dont bien failli. Si nous voulons anticiper une escalade potentielle vers laquelle nous allons irrémédiablement, il faut la restaurer. »
Le président regarde ce conseiller qu’il connait à peine. Il aime sa légère arrogance qui lui a permis de ne pas hésiter à prendre la parole.
- « Et vous voyez cela comment ? »
C’est le chef d’état-major particulier qui répond :
- « Nous n’avons pas encore considéré l’ultime avertissement. L’ultime avertissement, développé dans notre doctrine nucléaire par un de vos prédécesseurs, c’est une frappe nucléaire fortement bridée en puissance, délivrée par la composante aéroportée, sur un objectif que vous choisirez pour que les dégâts soient limités. Le but est d’envoyer un signal : en franchissant le seuil nucléaire en Europe, vous atteignez le seuil de mes intérêts vitaux et c’est inacceptable. Je décide une première frappe nucléaire aux conséquences maitrisées mais c’est mon ultime avertissement. J’utilise la composante aéroportée pour mener cette frappe, mais la composante nucléaire sous-marine reste tapie au fond des océans, prête à agir si nécessaire. Les Russes le savent. C’est toute la force d’avoir deux composantes complémentaires que vous avez décidé de maintenir comme vos prédécesseurs ! »
- « Et si l’adversaire ne comprend pas le message ou ne veut pas le comprendre », demande le président ?
- « C’est un peu un fusil à un coup, répond le chef de l’état-major particulier, qui doit s’employer au bon moment. Le but est que l’adversaire vous croit suffisamment déterminé pour revenir à une position non nucléaire car c’est lui alors qui serait responsable de l’holocauste qui lui coûterait aussi très cher. S’il cède, la dissuasion nucléaire serait ainsi restaurée. C’est notre ultime arme de dissuasion. Mais pour qu’elle soit crédible, vous devrez montrer votre détermination et informer la population en déclenchant un plan de protection massif. Je sais que vous vouliez l’éviter, mais la crédibilité de l’ultime avertissement doit être totale. J’ajoute que cela surprendrait la Russie qui a déjà, elle, mis en œuvre ses plans de protection. »
- « Je vois difficilement comment je pourrais seul décider d’un ultime avertissement nucléaire », reprend le président.
Le président regarde le chef de l’état-major particulier et Gaëtan qui échangent quelques mots à voix basse : ces deux-là se sont bien coordonnés. Il aime cela.
Gaëtan reprend la parole :
« Je vous propose de miser sur l’Union Européenne. Les Européens vous suivront si vous arrivez avec des propositions car, dans l’OTAN, ils sont dans une impasse. Vous avez cette formidable opportunité de miser sur l’article 42-7 du traité de l’Union Européenne en mettant sur la table les intérêts vitaux européens liés. Avec l’attentisme américain, cette fois c’est une alternative qu’ils écouteront sérieusement. Ne jouons pas cette carte de la solidarité dans l’OTAN mais dans l’Union Européenne. Il vous faudra d’abord convaincre les Polonais de requérir à cet article 42-7. Ce sont eux qui sont au premier plan dans cette affaire. Cet article prévoit que, au cas où un État membre ferait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir. Il est plus engageant que l’article 5 de l’OTAN qui impose, une fois voté, la solidarité mais sans engagement de moyen. Convainquez la Pologne en lui proposant votre soutien immédiat. Vous devrez expliquer l’ultime avertissement au président polonais. Vous lui offrirez la réaction qu’il n’a pu obtenir des Américains et de l’OTAN. Une réaction forte, mais graduée et utilisée dans le seul but d’empêcher une escalade nucléaire. Vous êtes le seul à pouvoir faire une telle proposition. La Pologne vous amènera le soutien des pays de l’est de l’Europe. Les pays du sud suivront naturellement votre soutien à la Pologne. Certains ne demandent qu’à vous suivre, si vous les prenez en considération. Si vous avez la Pologne et les pays de l’est, l’Allemagne suivra. Misez aussi sur la coordination avec le Royaume-Uni. Depuis le début de la crise ukrainienne, l’Union Européenne et nos amis britanniques ont travaillé ensemble, y compris sur la livraison d’armes. Nos amis anglais vous seront même reconnaissants. Vous imaginez la force d’un accord à 27 et même à 28 si on a avec nous le Royaume-Uni ? Il vous faudra prévenir les Chinois. J’anticipe quelques réticences de principe, mais finalement ils ne peuvent qu’être avec nous. Avec le « decoupling » américain qui vise à restreindre la dépendance et les échanges avec la Chine, les débouchés pour la Chine sont majoritairement en Europe et ils y trouveront un intérêt majeur. N’attendez pas de soutien officiel, mais ils pourraient mettre en garde la Russie. On préviendra les Américains en dernier, mais sans demander leur avis. Le président russe a parfaitement joué son agenda lors de sa première frappe. C’est ce qui a assis sa crédibilité. Le timing sera crucial.
Le président regarde longuement Gaëtan en le fixant dans les yeux. Il sent qu’il y a une partie à jouer et qu’il en a les cartes maîtresses. Ce qui l’inquiète le plus, c’est l’alerte à la population, mais comment pourrait-il décider d’une frappe nucléaire, même limitée, sans l’informer et la mobiliser ? A ce moment, sans même en être conscient, il a pris sa décision. Jamais la charge présidentielle n’a été aussi lourde à porter, mais aussi excitante à la fois. L’avenir de l’Europe est sur ses épaules et la France, unique pays au monde à être membre du conseil de sécurité des Nations Unis, de l’Union Européenne et de l’OTAN, puissance nucléaire, est la seule à pouvoir prendre une telle décision. Un tel risque aussi, mais l’histoire a souvent récompensé ceux qui, dans des circonstances exceptionnelles, avaient su prendre des risques. Il va convoquer ses homologues européens et lancer avant très vite les négociations avec les pays qui seront clés pour emporter la décision de l’Europe.
Le président pose une dernière question :
- « Cette crise montre qu’un conflit comme celui-ci, qui affecte directement les intérêts vitaux de l’Europe, doit se traiter au sein de l’Union Européenne. Est-ce que cela remettra en cause notre intégration à la structure militaire intégrée de l’OTAN ? »
Le chef d’état-major des armées répond :
- « Monsieur le président, je n’étais pas familier avec les structures de l’Alliance en arrivant dans mon poste, comme beaucoup d’officiers. Mais je constate que notre crédibilité repose sur notre présence forte dans la structure militaire intégrée de l’OTAN. Nous pouvons avoir cette discussion aujourd’hui et envisager une alternative avec nos amis européens parce que nous sommes assis ensemble à la table de l’OTAN et partageons les mêmes informations, les mêmes débats. Nous les comprenons parce que nous sommes avec eux. Nous reconnaissons le rôle de l’OTAN et des États-Unis. Nous travaillons avec eux. Dans le cadre de ce conflit, nous pouvons proposer une autre voie parce que nous sommes membres d’un même club, si je peux m’exprimer ainsi. Nous ne serions pas écoutés sinon, j’en suis convaincu. »
- « C’est l’avantage d’être la seule nation au monde à être une nation nucléaire, membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies, de l’OTAN et de l’Union Européenne », renchérit Gaëtan !
- « Merci Gaëtan, je sais cela… », lui répond le président avec un sourire bienveillant.
Des ordres sont donnés, la réunion est dissoute. Les participants ont ce sentiment d’avoir assisté à un moment historique. Le président salue tous les participants en sortant et il retient la main de Gaëtan longtemps, comme il sait le faire.
- « J’espère que vous ne vous êtes pas trompé », lui dit le président.
Il le regarde partir et pense qu’il est bien brillant ce conseiller. Il devra se méfier. Un jeune conseiller à l’Elysée, sûr de lui, peut toujours montrer ses ambitions personnelles rapides, cela s’est déjà vu….
Épilogue
La Pologne adhère rapidement à la démarche française, une fois expliqué l’ultime avertissement. L’Allemagne est contre mais n’a pas trop d’autre choix que suivre avec le ralliement des pays de l’est, sa sphère d’influence naturelle. Les autres États membres de l’Union Européenne acceptent et l’action est décidée en vertu de l’article 42.7 de l’Union Européenne. Le Royaume-Uni apprécie d’être associé à la décision mais le premier ministre britannique prévient quand même en avance de phase son homologue américain qui s’offusque d’être le dernier informé. Quand le président américain arrive à joindre son homologue français, ce dernier l’informe que l’action est imminente. L’objectif choisi est un site militaire abandonné, en Russie, à la frontière de l’Ukraine.
L’action militaire menée par les Rafale français est un succès et reçoit le soutien de plusieurs pays qui ouvrent leur espace aérien ou fournissent des moyens logistiques. Les Britanniques participent avec des ravitailleurs en vol.
Le monde entier réagit à cette frappe, plus ou moins violemment, accusant pour certains la France de déclencher une escalade nucléaire dangereuse. Le président fait, aux plans interne et externe le discours d’une vie. Il est rapidement contacté par le président russe. La voix de la France porte, soutenue par une communication très ferme.
Au plan intérieur, il y a de nombreuses réactions, très contradictoires, mais finalement la côte du président monte en flèche et son courage est salué. La Chine apporte son soutien à la France plus ouvertement qu’espéré et les États-Unis suivent.
La Russie comprend qu’elle n’a plus rien à gagner et plus à perdre. Le président avait bien intuité que la France le surprendrait. Il ne sait toujours pas si le président français bluffe ou non, mais il a maintenant toute l’Europe avec lui. La Russie doit aussi faire face à la Chine qui se montre très ferme. Le président russe décide d’annuler l’alerte des forces nucléaires et replie son arsenal.
La dissuasion nucléaire est restaurée. Le monde ne sera plus jamais le même. La France, malgré les critiques, a gagné un rôle de leader affirmé en Europe et conserve l’initiative, aux côtés de la Chine, pour amener Russes et Ukrainiens à la table des négociations.
Cette crise a démontré que, si toutes les organisations internationales sont imparfaites, elles ont le mérite d’exister. Leur complémentarité offre de nombreuses options pour atteindre un objectif commun : restaurer la paix.